Concrètement, si je fais ce métier c’est parce que j’y ai travaillé un été. L’été 89 ou 90. A l’époque, l’hôpital pouvait employer les enfants du personnel sur les périodes de vacances. A Saint-Nazaire, j’ai trouvé des collègues intéressants. On a bien ri. Et il y avait un médecin, je me souviens de ça, pour moi, c’est le premier jour mais est-ce que c’est vraiment le premier jour ? Sur un temps de transmission, le médecin m’interroge et me demande « Et toi ? Alors qu’est-ce que tu penses ? ». Il y avait ce grand écart entre la rigolade et une possibilité de travail avec vraiment un respect et une réflexion qu’on ne retrouvait pas ailleurs. C’est ça, le travail en psychiatrie. Ça s’est incarné dans cette question du médecin qui ne me connaissait ni d’Eve, ni d’Adam. J’avais zéro compétence et pourtant il me demande mon point de vue. J’ai dit faut que j’essaie. C’est un métier sympa. Et puis, le deuxième aspect, c’est la folie. La « folie », je la mets entre guillemets. Me dire que j’allais entrer dans ce monde-là, ça me mobilisait. Il y avait de l’inconnu, une forme de bravoure aussi, je ne le cache pas, à l’idée accéder un peu à ce monde étrange que, peut-être, j’arriverai à mieux comprendre, si je faisais ce parcours.
J’ai été diplômé en 93. Pendant cinq ans, j’ai travaillé à Blain, exclusivement dans les unités de soins intensifs. En arrivant à Saint-Nazaire, mon cadre supérieur m’a affecté à un hôpital de jour sans que je le souhaite. C’est la meilleure chose qui me soit arrivée professionnellement dans cette carrière hospitalière. J’ai compris que l’histoire du patient ne se bornait pas à l’hospitalisation. On ne peut pas comprendre un patient uniquement sur un temps de crise. Il y a un avant et un après. Il faut l’aborder plus largement.
Indépendamment de la maladie, indépendamment de l’histoire, le souci du quotidien, le « Comment ça va aujourd’hui ? » est essentiel. C’est quasiment le cœur de mon travail en psy adulte. Et c’est ce qui est peut-être le moins évoqué. La maladie mentale est très agressive et, pour s’en approcher, il faut être ému. Sinon, on ne s’en approche pas. Ça ne met pas en danger le soin. Si on n’est pas touché, on n’a pas envie de s’engager. C’est comme ça que je vois les choses. C’est venu petit à petit. Il faut un peu de bouteille je crois pour pouvoir le vivre. Ce qui m’a formé c’est aussi une thérapie, une psychothérapie de groupe. J’étais en 2ème année. Et le fait de soi-même être en soins m’a aidé à comprendre la relation de soins. A un moment, je pensais que ça m’a plus formé que l’école. J’en suis encore presque baba maintenant. Les thérapeutes avaient 2-3 coups d’avance à chaque fois. C’était fortiche, cette empathie et ces compétences qui leur permettaient d’aider quelqu’un sans imposer, sans s’imposer, en laissant libre la personne.
Depuis quatre ans, je travaille en pédopsy. Je me suis retrouvé quasiment à nu professionnellement, sans repères, à tout réapprendre. Les pathologies sont complètement différentes. On doit découvrir comment on se comporte avec un enfant malade. Le travail avec les familles est intégré dans la prise en charge de l’enfant. La journée est très rythmée. On s’installe moins dans une écoute. Il y a plus d’ateliers. C’est paradoxalement avec les parents que l’on prend ce temps d’écoute.
Au final, ce sont les patients qui nous forment. Soit on accepte d’intégrer cet enseignement, d’accepter que les patients sont en capacité de nous apprendre quelque chose soit on refuse. Si je suis l’infirmier que je suis maintenant, c’est parce que j’ai rencontré tous ces patients. Ce sont des parcours touchants.
Eric, infirmier en secteur psychiatrique
29 octobre 2014 - Saint-Nazaire