J’ai passé beaucoup d’années à être présente sur le marais. C’est un lieu assez magique où on peut aller jouer quand on est enfant. Et là, j’ai appris sans le savoir. J’ai appris par l’éducation silencieuse. Fille de paludier, j’avais été élevée proche de la nature. Le rythme des saisons a bercé mon enfance. La pluie a toujours été pour moi synonyme de repos, donc de vacances. Donc quelque part de beau temps. C’est un élément très marquant dans ma vie de tous les jours, enfant et maintenant.
A la vingtaine, j’étais assez révoltée sur l’injustice du monde. De cette révolte est née une envie d’un engagement un peu environnemental. J’ai trouvé un travail dans des collectivités territoriales sur le recyclage. Les 35 h/semaine, le très classique, très vite m’ont étouffée. J’avais l’impression de faner. A la trentaine, après être revenue dans la Région, je suis retournée auprès des marais salants et, enceinte du deuxième enfant, je me suis dit « il faut vraiment que je devienne paludière ».
Là, j’ai voulu passer par la porte de la voie normale même si j’étais fille de… J’ai oublié mon nom de jeune fille. Je mettais mon nom de femme mariée partout. J’ai passé les tests du jury et j’ai refait une remise en état de A à Z d’une saline que personne ne voulait. C’était vraiment le défi du dépassement de soi. J’avais beaucoup de choses à me prouver: fille de paludier, une femme dans un métier d’homme. A la formation, je me suis rendue compte qu’il y a plein de choses que je faisais sans savoir pourquoi je les faisais. Pendant le stage de formation, j’avais un maître de stage femme. Je voulais avoir une femme pour me guider. Pour la vie sociale aussi. C’est-à-dire avoir des horaires à peu près cohérents avec des enfants. Je voulais être partout, sur tous les fronts.
Petite, j’avais le savoir du papa. Du point de vue purement technique, découvrir le milieu des marais salants c’est maîtriser des niveaux d’eau, observer la météo. Le marais m’a appris à observer pour mieux comprendre. Observer le milieu et observer les gens aussi. Quand on démarre, au marais, on a plein de monde autour de soi. Le partage, la solidarité, c’est très important. J’ai appris par les autres. On prend les ruses de sioux de chacun. Celui qui a des soucis physiques va contourner le problème et ne pas s’attaquer au marais brutalement. Ça m’a beaucoup aidée. J’ai appris avec le marais à ne pas juger les gens. Parce qu’il y a mille et une manières de faire du sel. Il y a mille et une manières de se comporter dans le marais. Au début de mon activité, je me noyais dans un verre d’eau. Maintenant, s’il y a des hectares de vase à pousser, et bien, ce n’est pas grave. On va y aller. On se donne des petits objectifs. On arrête de croire qu’on va tout faire en une seule fois. Je n’ai plus peur.
C’est un métier où j’ai l’impression qu’on participe au grand TOUT. A l’indienne. C’est un métier de développement durable. J’en suis très fière. C’est pour ça que je me sens 2 fois plus vivante dans les marais. Même s’il fait un froid de canard et qu’il faut casser la glace pour pouvoir travailler.
Je suis paludière depuis 12 ans. Je n’ai jamais été aussi épanouie, sereine, apaisée. J’apprends à jouer avec le temps dans ce monde où il faut aller toujours vite. Étonnamment, j’ai beaucoup moins de problèmes physiques que quand j’étais derrière mon ordinateur. Il m’apprend à vivre en fait ce métier. Je le recommande à tout le monde.
Aude, paludière
28 octobre 2014 - Assérac